Hadopi : Albanel plonge dans le grand bain

C'est l'avantage de n'être qu'un jeune journaliste : lassitude et amertume ne se sont pas encore installées, et l'on est encore capable d'éprouver un frisson d'émotion lorsqu'on franchit le seuil de la rue de Valois pour sa première conférence de presse en présence d'un, ou en l'occurrence d'une, ministre de la Culture. J'ai déjà détaillé en long, en large et en travers - question du filtrage des réseaux exceptée mais l'on y reviendra - la teneur du projet de loi Hadopi sur Clubic, et ne me répèterai donc pas. En revanche, difficile de ne pas revenir sur le contexte dans lequel il s'inscrit.

Christine Albanel sait-elle qu'elle s'engage dans un combat qui menace son poste rue de Valois ? Son prédécesseur, Renaud Donnedieu de Vabres, n'a pas survécu aux conflits liés à la loi DADVSI, et la ministre en titre risque fort de suivre le même chemin tant le vote du projet Hadopi va se révéler difficile. Plusieurs raisons à cela.

Christine Albanel

Initié par Nicolas Sarkozy himself, dans une lettre de mission adressée à Mme Albanel le 1er août dernier, le projet de loi Hadopi va déchaîner les passions. Le soutien explicite du chef de l'Etat n'y sera pas pour rien : boudé par les Français qui l'ont élu, celui-ci ne semble plus faire l'unanimité au sein de sa propre majorité, et des dissensions marquées se sont déjà fait sentir au sujet de la loi Hadopi.

En face, l'opposition se régale à l'idée de démolir un projet aussi impopulaire aux yeux des internautes. Pour ce faire, elle bénéficie du soutien appuyé d'une partie de la presse qui, de Libé à Numerama en passant par PCInpact, ZDNet et, de façon nettement plus mesurée, par Clubic, ne manque pas de pointer du doigt les lacunes et dérives potentielles du projet.

Difficile de ne pas se montrer un brin sceptique vis à vis de ce projet, qui prévoir pour mémoire de suspendre l'abonnement à Internet de l'abonné qui aurait été pris à plusieurs reprises à télécharger illégalement. Impossible de ne pas hausser les sourcils lorsqu'on entend parler d'une Haute Autorité qui viendrait se substituer aux mécanismes de la justice sans pour autant l'évincer complètement, puisque la condamnation au pénal n'est pas totalement écartée (double peine ?) et qu'il faudra faire appel à un juge pour contester l'une des décisions de l'Hadopi.

Mercredi, rue de Valois, le scepticisme était également de rigueur pour la cinquantaine de journalistes présents, et la séance de questions réponses qui a suivi le discours de Christine Albanel l’a bien montré. Tous ont pointé du doigt les failles et dérives potentielles du projet.

Toute personne un peu censée est aujourd’hui consciente du fait que le piratage tel qu’il est pratiqué aujourd’hui en France et dans le monde menace l’avenir de la culture. Ecartons les beaux discours vantant les mérites de l’art libre et détaché de toute contrainte matérielle : les artistes doivent gagner leur pain, et la filière tout entière se trouve menacée si leurs revenus le sont. Pour autant, les choix adoptés par le gouvernement sont-ils les bons ?

La dissuasion est une méthode théoriquement éprouvée : demandez à nos sous-marins nucléaires. Envoyer par milliers des messages d’avertissement aux internautes convaincus de téléchargement illégal en conduira sans doute une bonne part à cesser leurs coupables agissements. Mais le problème restera entier : l’internaute d’aujourd’hui n’est plus prêt à dépenser vingt euros pour un CD. Il rechigne à acheter un à un ses titres sur Internet, à 0,99 euro l’unité, même si les DRM ont fait long feu. Il aime la possibilité de télécharger un film avant même sa sortie dans les salles, et l’on voit difficilement comment il renoncerait aux plaisirs délictueux que lui procure Internet.

Nous avons donc d’un côté une industrie exsangue, qui hésite à amorcer une véritable rupture dans sa façon de fonctionner, de peur de voir ses revenus compromis, et de l’autre une population de millions d’individus dont le rapport aux œuvres de l’esprit a changé. L’internaute d’aujourd’hui télécharge, écoute sa musique sur Deezer, et lit la presse gratuite disponible dans le métro.

Du côté de la musique et du cinéma, les principaux concernés ont pris connaissance de cet état de fait, même s’ils se refusent à l’admettre publiquement. Eux même peinent à croire que le projet de loi Hadopi permettra de résorber la tâche d’huile du téléchargement, comme me l’ont confirmé les quelques conversations perçues dans les salons de la rue de Valois suite à la conférence de presse proprement dite. Off the record, certains n’hésitent pas à l’admettre de façon explicite.

Dès lors, quelle voie adopter ? Comment concilier les aspirations légitimes de l’un et les habitudes de l’autre ? La réponse serait à mon sens, comme à celui de bien d'autres... à chercher du côté de nouveaux modèles, et non en tentant de systématiser une vaine répression.

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