Olivier Martinez Vs Fuzz, ou la vindicte du blogueur

(Billet rédigé dans le train, sur un X300 de test, sans la moindre connexion à internet. L’hyperconnecté que je suis n’a guère l’habitude de cet exercice, surtout lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi polémique que l’affaire Olivier Martinez, mais l’exercice n’est pas inintéressant. Il n’y aura donc ni liens hypertexte, ni citations des propos des forces en présence ou de texte de loi, mais un simple avis personnel – et donc empreint de subjectivité – sur la question).

(Ca sera sans doute un peu long, mais il faut bien s’occuper ;-))

Sur le fond

Si vous vous intéressez un tant soit peu aux blogs francophones, et tout particulièrement aux blogs qui traitent, au moins ponctuellement, des nouvelles technologies, vous n’avez pu passer à côté de la déferlante de billets intitulés «Je n’aime pas Olivier Martinez ».

monthy

A witch ? A witch ! Burnnnn it !

Cette insistance à affirmer son dédain pour O. M. n’a rien à voir avec le cinéma. Cette démarche collective est une réaction à l’assignation en justice reçue par Eric Dupin (blog presse-citron.net), éditeur et hébergeur de fuzz.fr, un agrégateur d’informations de type Digg, où les utilisateurs peuvent proposer des liens, accompagnés de quelques mots d’accompagnement, qui seront ensuite soumis à l’approbation des internautes de passage. Les différentes informations sont alors hiérarchisées en fonction des appréciations laissées, le haut du panier gagnant l’insigne honneur d’apparaitre en page d’accueil du site.

L’un des membres de Fuzz a récemment posté un lien vers une page Web véhiculant des informations qui, selon son avocat, porteraient atteinte à O. M. Dans la mesure où Fuzz affiche qelques publicités, la volonté de s’enrichir en diffusant des informations répréhensibles est avancée. Conséquence : les plaignants réclament environ 35.000 euros de dommages et intérêts à Eric Dupin, qui n’a sans doute jamais rêvé de gagner un jour de telles sommes avec un site comme Fuzz.

Si Eric Dupin avait, de son propre chef, publié ces informations sur son blog, il appartiendrait à un juge de déterminer leur éventuel caractère calomnieux, et de prendre une décision en conséquence. Ici, Dupin n’agit qu’en tant que prestataire de service, un hébergeur, et devrait donc se voir protégé par la loi sur la confiance dans l’économie numérique, ou LCEN. Celle-ci précise en effet qu’un hébergeur ne saurait voir sa responsabilité engagée dès lors qu’il n’est pas au courant de la diffusion de contenus litigieux sur son service, et qu’il les supprime avec la plus grande célérité lorsqu’on lui signale leur existence.

Eric Dupin affirme n’avoir reçu aucun avertissement, ou demande de suppression, auquel il aurait donné suite sans tarder. Assignation en justice directe, sans sommation : le procédé n’est pas heureux, premier motif de mécontentement.

Second point où le bât blesse : l’information litigieuse n’a pas été publiée directement sur le site Fuzz, mais mentionnnée, avec un lien hypertexte et succincte description. Fuzz ne l’a donc pas à proprement parlé hébergée : il l’a relayée, ou diffusée, ce qui du point de vue des plaignants, ne fait aucune différence. Vue de l’autre côté de la lorgnette, cette distinction change pourtant la donne. De la même façon qu’un Dailymotion n’est pas condamné lorsque des internautes profitent de son service pour diffuser des vidéos soumises au droit d’auteur (affaire Lafesse), Eric Dupin ne devrait pas faire les frais de la publication, sur un autre site que le sien, d’un texte potentiellement condamnable, au seul motif que celui-ci a été repris sur Fuzz.

A l’heure où croissent des services estampillés « Web 2.0 » qui tous ou presque reposent sur les concepts de syndication, d’agrégation et d’utilisation croisée des contenus, l’affaire prend une tournure inquiétante aux yeux de bon nombre d’observateurs du phénomène Internet. La condamnation d’Eric Dupin pourrait motiver d’autres procédures du même genre, et attiser les appétits de certains avocats avides de notoriété et d’honoraires.

Lespipoles.com, Wikio (sauvé par un vice de procédure) et maintenant Fuzz : il y a des raisons de craindre que l’on étrangle le Web français. Le simple fait d’autoriser la publication de contenus tiers sur son site, qu’ils soient agrégés de façon automatique depuis un autre site (principe du RSS) ou laissés par les internautes (commentaires de blogs par exemple), pourrait porter préjudice à l’éditeur. Faudrait-il alors appeler une révision de la LCEN, afin qu’elle délimite plus clairement les droits et les devoirs de celui qui héberge ou édite des contenus sur le Web ?

Sur la forme

En quelques jours, plusieurs dizaines de bilets intitulés « je n’aime pas Olivier Martinez » ont été postés sur la Toile en réaction à cette affaire, avec l’objectif non dissimulé de porter préjudice à la réputation de cet acteur, l’idée étant que l’internaute lambda qui effectue une recherche Google sur son nom ne pourra pas manquer de découvrir les dessous de cette « ténébreuse affaire ». On trouve aussi de subtiles variantes. Dans l’une, « déteste » remplace « n’aime pas ». Dans l’autre se retrouve embringué un malheureux hamster. Enfin, un opportuniste n'a pas manqué de reprendre à son compte le fameux "Leave Britney Alone", depuis décliné en "Leave Laure Manaudou Alone", avec un "Leave Olivier Martinez Alone". Point d'opportunisme là dedans, allons, quel mauvais esprit !

Pour soutenir Eric Dupin, vilipendons Olivier Martinez, et organisons une fatwa collective ?

Olivier Martinez m’indiffère. Je ne l’aime ni ne l’abhorre et ne crois avoir vu de sa filmographie que SWAT, une super production américaine où des super flics bottent le cul de super méchants. Bref, le genre de films que j’oublie deux heures après les avoir vus, sauf peut-être lorsque la blonde pulpeuse est particulièrement bien siliconée. Olivier Martinez a donc fort logiquement suivi le même chemin que SWAT dans mon esprit : direction les oubliettes.

L’affaire Fuzz m’ennuie, pour les différentes raisons évoquées ci-dessus, parce qu’elle fait planer un voile d’incertitude autour de notions primordiales dans le développement du Web. Et pour autant, je ne me sens pas d’aller cracher sur Olivier Martinez, et le déchainement collectif observé ces derniers jours me laisse un arrière goût quelque peu saumâtre.

Sans aller, comme Cyrille de Lasteyrie (dsl si ortho massacrée), jusqu''à évoquer sur un ton larmoyant des parallèles historiques tout à fait déplacé, je n’aime pas lorsque les masses se mettent en branle sans réfléchir. Suivre ses impulsions à titre individuel, ok. Mais la mouvance collective donne souvent de mauvais résultats.

D’autant que comme le souligne C. de L., aka Vinvin, la démarche de Martinez est compréhensible. De la même façon que les stars n’hésitent pas à dégainer l’arsenal judiciaire face à un Voici ou un Gala, il estime que les sites web, amateurs ou professionnels, n’ont pas à venir empiéter sur sa vie privée. Alors il prend les armes qu’il a à sa disposition, à savoir, je suppose,un portefeuille bien garni et un avocat aux dents longues. Martinez se contrefout sans doute du Web 2.0 et de la syndication de contenus. Après tout, il défend son bifteck, comme beaucoup d’entre nous le feraient si leur image ou leur vie privée étaient directement attaquées.

Certes, peut-être regrettera-t-il sa démarche s’il lit ces vingt ou trente billets moqueurs. Cela ne retire rien au bien fondé supposé de son action.

Maintenant, que gagne la communauté du We avec une telle action ? Le cas Fuzz / Dupin sera prochainement jugé, et ces quelques rodomontades n’y changeront rien.

A 16 heures vendredi, une requête Google sur le nom Olivier Martinez ne retournait aucun des billets de soutien à Eric Dupin en première page, sa fiche Wikipedia restant indétrônée. En revanche, divers médias se sont fait l’écho de cette campagne de dénigrement. En se focalisant plus sur la réaction d’une communauté de blogueurs, la « forme », que sur le fond véritable de l’affaire et ses implications.

Quel sera le bénéfice ? Montrer que la blogosphère est une force avec laquelle il faut compter ? Que l’on ne peut impunément s’attaquer au cinquième pouvoir citoyen ? Internet bouleverse peut-être la politique, mais je ne crois pas qu’une poignée de blogueurs, si influents soient-ils, bousculent le cours de la justice.

« Saint-pierre-des-corps, trois minutes d’arrêt ». La suite une fois le verdict rendu ?

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