Loin de faire l'unanimité, que ce soit parmi les internautes ou parmi les membres des différents cénacles qui gouvernent la France, le projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) a été amendé avant d'être adopté par les sénateurs avec 164 voix favorables contre 128 voix. La procédure d'urgence étant maintenue, il n'y aura pas de seconde lecture à l'Assemblée et c'est désormais la Commission mixte paritaire, composée de sept sénateurs et de sept députés, qui devra harmoniser les points de vue, probablement aux alentours du 30 mai. Amateurs d'open source ou de musique libre, le système tel qu'il est présenté dans ce texte va vous rendre la vie très contraignante...
Les sénateurs ont finalement choisi l'instauration d'une Autorité de régulation des mesures techniques de protection qui sera chargée « veiller à l'interopérabilité des mesures techniques de protection » et de réglementer le nombre de copies privées applicables à chaque œuvre. Bien que soutenue par les verts, les communistes et une partie des sénateurs centristes, la proposition visant à ce que le nombre de copies privées soit au moins égal à un n'a pas été retenue. « Vous donnez à l'autorité le pouvoir de décider zéro copie or la copie privée est un droit », a déploré Marie-Christine Blandin. Un droit pour lequel l'internaute et le consommateur sont même régulièrement taxés : dès qu'ils achètent des médias vierges ou des baladeurs numériques...
Contrairement au principe de séparation des pouvoirs, cette Autorité devrait à la fois définir les règles et être chargée de les faire respecter, alors que le Collège des médiateurs prévu dans la version initiale du texte n'avait qu'un rôle de conciliation. Cette collusion des rôles est à mon sens à la limite de la constitutionnalité, même si je ne connais absolument pas la constitution :) Celui qui fait la loi ne l'applique pas, on n'est pas dans Judge Dredd...
Le recours à cette autorité devrait de plus être réservé aux entreprises ou aux éditeurs, impossible pour un simple particulier de la mander en cas de litige. Selon l'AFP, cette autorité sera composée de six membres, trois magistrats et trois personnalités qualifiées de la société civile, qui auront un mandat de six ans renouvelable par moitié tous les trois ans. Une « exception pédagogique » a été mise en place pour la recherche et l'enseignement. Notons que les bibliothèques publiques ne sont pas forcément considérées comme des établissements de recherche ou d'enseignement. Merci pour elles...
Sans guère de surprise, les sénateurs ont adopté le système des sanctions graduées pour réprimer le téléchargement illégal sur Internet, sans grande modification par rapport au résultat obtenu à l'Assemblée nationale. Ce régime prévoit des sanctions allant de 38 euros d'amende pour l'internaute qui télécharge illégalement à une peine de 3 ans de prison et 300.000 euros d'amende le fait « d'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés ». Notons que le fait « d'inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, à l'usage d'un logiciel » comme celui évoqué ci-dessus est également condamnable selon le texte adopté par les sénateurs (article 12 bis). Autrement dit, il ne vaut mieux pas évoquer la sortie d'une nouvelle version d'emule sur son blog, l'on pourrait penser qu'il s'agit d'une incitation dissimulée.
On ne sait pas encore vraiment comment sera organisée la surveillance des réseaux. Les sénateurs se sont toutefois entendu hier pour que les pratiques découlant de la surveillance des usages faits d'une oeuvre soient soumises à l'approbation de la Cnil, laquelle a déjà fort à faire...
L'exception d'interopérabilité est provisoirement maintenue mais la Commission mixte paritaire sera chargée d'y revenir. C'est cette exception qui autorise le contournement d'une mesure technique de protection à des fins d'interopérabilité. Les sénateurs ont également voté la création d'un « registre public » des œuvres dans lequel les titulaires des droits intellectuels sur une œuvre pourront inscrire les « informations relatives aux droits et aux conditions d'utilisation » de cette dernière. Ce registre, public et publié dans un format « ouvert » sera mis à la disposition de tous. « En résumé, l'amendement de la commission transforme tous les internautes en présumés coupables », a protesté Catherine Morin-Desailly. A mon humble avis, elle n'a pas tort. Nul n'est censé ignorer la loi, n'est-ce pas ?
Il faudra maintenant attendre la Commission mixte paritaire, qui aura la dure tache de concilier les différentes exigences formulées par les députés comme par les sénateurs, sans se mettre à dos les internautes qui craignent pour leurs libertés individuelles. Je n'aimerais pas être à la place des 14 gus à qui reviendra cette lourde mission... Je suis en revanche impatient de voir qui ce sera et de quel bord ils seront.
1 De Pierre-Yves - 11/05/2006, 17:50
Tombé par hasard sur ton blog et d'une ignorance crasse quant au sujet, tu es le premier à m'avoir permis de comprendre ce qui n'était qu'une nébuleuse (DADVSI)!
Meilleur journaliste que ceux de Libé ou du Monde qui n'y étaient pas parvenus !
Merci !
PY
2 De antistress - 12/05/2006, 00:23
je n'aime pas trop le mot "exception d'intéropérabilité" (ce n'est pas une exception au sens du droit d'auteur)... mais tu voulais peut-être parler du droit à décompilation ?
En fait ce droit est déjà reconnu par la directive 91/250/CEE du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur (Article 6)
L'intéropérabilité a été laminée par le Sénat : une vraie boucherie.
Le Sénat a été très habile et très vicieux, poussant la malhonnêteté intellectuelle assez loin : le texte approuvé par le Sénat est une loi en trompe-l'oeil, remplie de faux-semblants.
L'intéropérabilité n'est plus, dans la loi, qu'un mot vidé de son sens.
I - Il faut bien comprendre que l'intéropérabilité (=la possibilité de lire une oeuvre quel que soit le matériel ou logiciel utilisé) vise les utilisateurs, par définition.
Ce sont les seuls concernés par l'intéropérabilité, les seuls à qui elle profite.
Et pourtant ce sont les seuls à ne pas pouvoir saisir l'autorité chargée de se prononcer sur la question!
C'est un non sens parfait, sauf à vouloir un dispositif délibérément inefficace.
II - Quant à l'autorité administrative indépendante créée, elle est là pour couper court à toute velléité d'interopérabilité :
1°) elle n'est pas là pour garantir quoi que ce soit : elle doit "favoriser ou susciter" une solution de conciliation qui peut échouer, auquel cas elle rend "une décision motivée de rejet de la demande"
2°) Ses décisions sont par avance privées de toute portée pratique : les parties peuvent introduire un recours devant la cour d'appel de Paris, recours qui un effet suspensif (les Sénateurs ont insité sur ce point). Or l'effet suspensif ne joue, par définition, que dans un sens : au cas où l'autorité prend une injonction, c'est à dire au cas où elle impose l'intéropérabilité. Pour mémoire, l'effet suspensif c'est ce qui permet aux multinationales d'utiliser leur magot pour jouer la montre, en épuisant toutes les voies de recours le temps que les atteintes soint devenues irréversibles (Microsoft est coutumier de ce fait) : de la sorte, la décision n'a plus de portée lorsqu'elle devient executoire.
3°) En cas (exceptionnel, on l'imagine) d'injonction, la fourniture des informations nécessaires à l'intéropérabilité s'effectue sur le principe des licences RAND (Reasonable And Non-Discriminatory soit "raisonnable et non-discriminatoire") c'est à dire que les informations sont paayntes, facturées à un coût que seules les grosses entreprises peuvent assumer (Microsoft rafole des licences RAND) alors que l'assemblée nationale avait prévu que seul les frais logistiques puissent être facturés. Il va sans dire que diffuser un logiciel libre gratuitement dans ces conditions est exclu.
III - Mais le Sénat va encore plus loin dans la malhonnêté intellectuelle (si c'est possible) lorsqu'il prévoit que "Le titulaire des droits sur la mesure technique ne peut imposer au bénéficiaire de renoncer à la publication du code source et de la documentation technique de son logiciel indépendant et interopérant que s'il apporte la preuve que celle-ci aurait pour effet de porter gravement atteinte à la sécurité et à l'efficacité de ladite mesure technique"
Relisez bien : le Sénat se préoccupe de la sécurité des mesures technique de protection!
Eh oui, pauvres internautes qui ne comprennaient rien à l'affaire : ce n'est pas la sécurité des logiciels et des systèmes informatiques qui est menacée par les mesures techniques de protection (rootkit de Sony etc.), mais bien l'inverse!
Vous n'aviez pas compris la chose comme cela ? alors vous n'avez rien compris ma parole!
3 De antistress - 15/05/2006, 09:43
2è lecture !
forum.framasoft.org/viewt...
4 De antistress - 15/05/2006, 10:47
rectif : l'info sur la 2è lecture est à prendre avec des pincettes, c'est peut-être juste que le site de l'AN n'est pas à jour...
5 De Onesque - 15/05/2006, 12:11
Pierre-Yves : merci, voilà un beau compliment !
Antistress : merci pour ce complément d'infos. Pour la seconde lecture, j'ai failli le traiter ce matin (pro) et je me suis dit qu'il valait mieux attendre confirmation. j'ai bien fait apparemment :)
6 De antistress - 15/05/2006, 14:50
Les DRM en pratique
forum.framasoft.org/viewt...